LA MALTOURNEE
Texte et illustrations : Benjamin B. HOTCHKISS (sauf mentions contraires)

2e partie : le processus de réfection des jeeps


Les photos NB, sauf mentions contraires, qui illustrent cet article proviennent d’un album photos de 1949, photos d’A. SUAIN,
photographe à Vincennes, collection personnelle de l’auteur.

La Maltournée fonctionnait selon un schéma industriel de démontage / remontage sur la base d’un programme annuel défini par le Ministère des armées. Par exemple, celui de l’année 1960 prévoyait la rénovation de :
-   500 jeeps (à la fin 1959, le parc en attente de rénovation était de 1172 véhicules)
-   2636 moteurs de jeeps, 150 moteurs de VLR DELAHAYE
-   2400 ponts arrières et 2300 ponts avants
-   2300 boites de vitesses et 2300 boites auxiliaires.


processus organisationnel de l’ERGMAu de La Maltournée

La décision de reconstruire une jeep n’était pas prise à La Maltournée à la réception du véhicule mais en amont par un Inspecteur automobile de l’établissement du matériel dont dépendait l’unité d’affectation du véhicule. Celui-ci délivrait un ordre de mission permettant l’acheminement de la jeep vers La Maltournée. Celles-ci arrivaient à la gare de Neuilly-sur-Marne par voie de chemin de fer. Au débarquement étaient relevés le numéro d’immatriculation, numéro de châssis et la marque / type de la jeep.

A titre indicatif, le kilométrage moyen relevé sur les véhicules rénovés (3044 entre le début 1950 et février 1956) s’établissaient ainsi :
- véhicules accidentés : 13700 km
- véhicules « à limite d’usure » : 31140 km

Le châssis faisait l’objet d’une inspection et c’est son état qui décidait de la mise en réparation ou de la réforme de la jeep. Tous les véhicules dont les châssis avaient été soudés, cassés ou renforcés étaient réformés. A noter qu’un châssis déformé était conservé et redressé ensuite à froid, toute intervention à chaud étant proscrite.

Même si cette classification a varié dans le temps, les véhicules étaient classés en plusieurs catégories :

P1

Véhicule réformé et provenant de l’assistance militaire américaine (PAM). Ces véhicules étaient reversés aux USA

P2

Véhicule réformé

P3

Véhicule à réparer en Allemagne (déjà réparé en Allemagne au titre d’accords antérieurs). La France possédait plusieurs établissements reconstruisant des jeeps en RFA. Dont le Centre de Réparation Auto Sud (CRAS) de Friedrichshafen, le 251e Bataillon de Réparation du Matériel de Kaiserslautern, la 352e Compagnie de Réparation Lourde Automobile.

P4

Véhicule à réparer à l’ERGMAu de La Maltournée

Les P1 et P3 étaient stockées dans les parcs de Vincennes ou d’Aubervilliers avant acheminement vers l’Allemagne. Cette règle n’est toutefois pas absolue et des exceptions existent. Par exemple, la GPW n°9892 perçue par l’armée française en 1952 au titre du PAM a été refaite à La Maltournée en 1961 puis 1966. Les P2 et P4 restaient sur le parc de La Maltournée :
- P2 : les accessoires et ensembles sont démontés et récupérés. Les châssis sont coupés et vendus à la ferraille. Un PV de réforme est établi par le service des Domaines.
- P4 : ils rentrent dans le circuit de reconstruction au 4e échelon.

Les véhicules à reconstruire sont prélevés en tant que de besoin dans le parc dans l’ordre d’arrivée de leurs papiers d’identification et dirigés vers l’atelier de démontage. C’est à ce moment que lui est attribué un numéro d’ordre, le numéro MALT.

Sur la fiche d’inventaire du véhicule repéré par son numéro MALT figure l’aspect général du véhicule (hors mécanique), la liste des pièces et accessoires manquants, son kilométrage et la date d’entrée dans l’atelier.

Le démontage, avec une capacité de 10 véhicules / jour pour 10 ouvriers, s’effectue en 7 étapes :
1) roue de secours et son support, support de jerrican, arceaux, pare-brise, capot, filtres, sièges, volant.
2) ailes, calandre, décâblage lanternes et dynamo, pédales.
3) mise à nu des ailes et des calandres.
4) sangles de réservoir, colliers de câble du frein à main, caisse, pot d'échappement, réservoir à essence. Les réservoirs d'essence sont percés de 2 trous de diamètre 15mm environ pour éviter tout risque d'explosion et d’incendie.
5) dépose de l'appareillage électrique (dynamo, démarreur), des transmissions arrière et avant, du moteur, des boîtes de vitesse et de transfert, du radiateur, de la direction. Vidange des boîtes de vitesse.
6) dépose de la traverse centrale support de la boite de vitesse, des tuyauteries Lockheed, du maître-cylindre.
7) dépose des roues, des ponts, mise à nu du châssis, des amortisseurs, des palonniers.




chaîne de démontage. La jeep, ici une MB, en est à l’étape 4.




On note une différence entre le nombre total de numéros MALT attribués et la production réelle d’environ 1970. Roland DATWYLER attribue ce constat au fait que tous les véhicules arrivant en chaîne de reconstruction ont reçu un numéro. Les châssis finalement trop endommagés qui avaient passé le contrôle initial ont été réformés lors de la phase de démontage sans que le numéro MALT soit réattribué.


Après démontage, les pièces et ensembles sont lavés, contrôlés et triés (ferraillage, rénovation ou stockage si elles sont en bon état). En 1955, quelques statistiques ont été réalisées en prévision du lancement de la M201. Sur les 600 jeeps observées, quelques exemples :

DESIGNATION

POURCENTAGE DE REFORME

TEMPS DE RÉPARATION PAR PIECE / NOTES

Caisse

22%

38h21

Châssis

13%

11h91

Pare-brise

11%

7h83

Amortisseurs AV

25%

les amortisseurs défectueux ne sont pas réparés

Amortisseurs AR

35%

Ressorts (10 ou 11 lames)

75%

1h02

Culasse

20%

Les pièces non réformées sont réemployées après rectification

Soupape

40%

Disque d’embrayage

20%

Les pièces non réformées sont réemployées sans rectification

Chaîne de distribution

65%

Réservoir d’essence

27%


Carter de pont AV

14%


Ampèremètre

15%


Les ensembles et sous-ensembles non réformés sont ensuite remis en état. Quelques exemples :
1) Châssis : dressage et dévoilage à froid. Le contrôle s’effectue à l’aide d’un gabarit (et non d’un marbre).
2) Réservoir : les trous percés lors du démontage sont bouchés par des pastilles. L’étanchéité est contrôlée sous pression.
3) Radiateur : leur réfection est sous-traitée en externe
4) Moteur, système d’embrayage, boîtes de vitesses, transmissions, ponts et tous les sous-ensembles sont entièrement démontés pour être reconditionnés. La plupart des sous-ensembles ayant vocation à servir de pièces détachées pour les établissements régionaux du matériel (échanges standards de 3e échelon) sont réceptionnés individuellement.
5) Boîtes : boîte de vitesse et boîte de transfert forment un seul sous-ensemble ce qui explique le plomb reliant ces deux boîtes. Les pignons des BV et BT ne sont pas mélangés et sont remontés ensemble avec échange des pignons défectueux si nécessaire.




chaîne de remontage des moteurs.

A noter qu’un certain nombre de pièces sont systématiquement mises au rebut comme par exemple les bobines d’allumage.

Les jeeps inscrites au programme de réfection sont ensuite assemblées à la chaîne. Le remontage s’effectue autour de 10 postes employant 16 ouvriers pour 9 véhicules / jour. Description des principaux postes en 1960 :

1 – 1 ouvrier

assemblage des ponts aux ressorts sur un faux châssis, montage des roues, réglage du parallélisme, pose des flexibles de frein sur les ponts

2 – 1 ouvrier

assemblage des ponts sur les châssis, mise en place du palonnier

3 – 1 ouvrier

pose des amortisseurs, du maître-cylindre, du levier de débrayage, des tuyauteries de frein, purge des freins; pose du tube d'échappement, des arbres de transmissions avant et arrière

4 – 2 ouvriers

pose des tresses d'antiparasitage, de la direction, du moteur accouplé aux boîtes de vitesses et de transfert, de la fourchette et du câble de débrayage, du câble du compteur

5 – 1 ouvrier

graissage complet, accouplement de la transmission avant et arrière à la boîte de transfert, préparation de la caisse

6 – 2 ouvriers

montage et fixation de la caisse, montage du réservoir et de ses tuyauteries, pose du pot d’échappement, branchement des tresses d'antiparasitage

7 – 2 ouvriers

pose et raccordement du radiateur, pose et raccordement des pédales, pose des arceaux, du pare-brise, des catadioptres

8 – 2 ouvriers

pose du capot, des ailes, de la calandre, du support du projecteur de black-out

9 – 1 ouvrier

pose du régulateur, de l’avertisseur, réglage des phares, retouches éventuelles

10 – 1 ouvrier

contrôle du véhicule et essais dans la cour de La Maltournée



▲ remontage des ponts après leur rénovation ▲


▲ remontage des ensembles après réparation, peinture et essais ▲


▲ pose du câblage électrique après remise en état des caisses ▲


▲ achèvement du remontage des véhicule ▲


▲ mise au point après essais en tout-terrain. ▲
A noter l’usure prononcée des pneus, nous sommes en 1949
et les pneus sont rares et chers

Dans ce processus, les pièces sont assemblées sans souci d’origine, mélangeant allégrement des pièces de provenance Willys ou Ford, des pièces Hotchkiss ou de sous-traitants (comme par exemple les pièces de refabrication allemande comme les carrosseries Eskanor, les blocs moteur, carters de boite à vitesses et tambours de freins portant le sigle Mercedes-Benz, etc.).

Si le numéro de châssis avait pu être identifié, la jeep retrouvait son identité : Willys MB, Hotchkiss M201, plus rarement Ford GPW. A défaut, elle se voyait attribuer un numéro ITM. Voir sur ce sujet : Les Jeep ITM, René ROVAI, Jean-Louis MARTIN in Revue 4x4 STORY, n°38, mai - juin 2011 p.22-24.

Les jeeps ne sont pas que reconstruites. Elles sont aussi modifiées (exemples : transformation de 6 en 24V, renforcements TAP, etc.) et bénéficient notamment des mises à niveau issues des bulletins et fiches techniques qui les concernent. Ces mentions sont portées dans le carnet du véhicule à la rubrique « Modifications ».

En 1959, la reconstruction d’une jeep 6V demandait en moyenne 268 heures pour un coût moyen de 5157 Francs contre environ 10000 Francs pour une M201 neuve. On voit tout l’intérêt d’un passage à La Maltournée pour des jeeps considérées à nouveau comme neuves par l’armée.

Poste de dépenses

Heures

Coût

Carrosserie

140,5

2836

Moteur

68,52

1074

Pont AV

23

468

Pont AR

15,49

309

Boite de vitesses

15,07

314

Direction

3,84

70

Transmissions AV et AR

1,66

86

 

268,08

5157

Avant prise en compte par l’armée, les véhicules reconstruits devaient remplir un cahier des charges : les conditions de recettes. Ces conditions tenaient à la fois aux caractéristiques du véhicule qu’aux performances minimales attendues après reconstruction.
- caractéristiques du véhicule : caractéristiques générales comme les dimensions, contenances, organes divers comme le moteur, les boites, etc., équipements électriques. Le contrôle spécifique et la recette des organes mécaniques et ensembles divers est fait par ailleurs au moment de leur rénovation à La Maltournée et/ou achat neuf chez le fournisseur.
-
performances minimales : elles sont déterminées au cours d’une épreuve de roulage (route et tout-terrain) au cours de laquelle sont testés
   - le fonctionnement des boites y compris la boite auxiliaire,
   
- le fonctionnement du train AV en 4 roues motrices
   
- les vitesses pour chaque rapport (1ère : 35 km/h mini, 2e : 59 km/h, 3e : 88 km/h)
   
- le freinage (arrêt en 23 m maxi à la vitesse de 60 km/h, frein de parking efficace sur une pente à 45%)
   
- la consommation d’essence (15 litres aux 100 km) et d’huile (0,2 litre aux 100 km) à une vitesse moyenne de 44km/h sur route moyennement accidentée
   
-le rayon de braquage de 5 m maxi à droite ou à gauche.

A l’ERGMAu de La Maltournée, les essais s’effectuent en général le lendemain du montage terminal des jeeps permettant de relever les incidents et bruits anormaux et de procéder aux retouches au retour. Ces essais comprennent notamment :
- un circuit de 40 km environ sur les routes avoisinantes ;
- une épreuve de vitesse chronométrée en ligne droite ;
- une épreuve de freinage mesurée par décéléromètre ;
- une épreuve de consommation (la moitié des véhicules seulement). Pour celle-ci, l'alimentation en essence est faite à partir d'une nourrice placée sur le côté de la voiture (4 litres environ). Le véhicule roule jusqu'à épuisement complet du carburant dans la nourrice et le kilométrage effectué est relevé.
- une épreuve de maniabilité en tout-terrain dans une carrière désaffectée avec pentes à fort pourcentage.


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13 mars 2016