En
1938, le Ministère de la Guerre achète à la compagnie
Thomson-Houston le site et les bâtiments de La Maltournée à
Neuilly-Plaisance pour y créer une annexe du Magasin Central
Automobile de Vincennes. Les bâtiments sont occupés par
l’armée allemande à partir de 1940. Ils sont fortement
endommagés à la Libération en août 1944 lors
de la destruction du pont de chemin de fer sur la Marne à
proximité immédiate de l'Etablissement.
La
campagne d'embauchage débute le 2
novembre
1944.
Dès le début 1945,
les
Ateliers de Réparation Automobile de la Maltournée doivent
mener de front l'exécution d'un important programme de
réparation de matériels automobiles, la remise en état et
l'évacuation de tous les véhicules abandonnés sur place
par les Allemands et la réfection des murs, bâtiments,
verrières, etc. Ces travaux de réfection et d'aménagement
de l’infrastructure vont durer plusieurs années pendant
lesquelles les ouvriers affectés à la réparation des
véhicules travaillent dans des conditions particulièrement
pénibles. Les ateliers, ouverts à tous vents, étaient
chauffés, en hiver, par des braseros brûlant tous les
combustibles possibles, jusqu' aux tiroirs des établis qu'il
fallait attacher avec des chaînes. La Maltournée
reconstruit
ses premières jeeps en 1946 avec une production de 380
véhicules.
27
août 1944, un Tank Destroyer des libérateurs américains de
la ville de Neuilly-Plaisance passe devant le
restaurant-tabac « A la Mal Tournée » au 13
boulevard Galliéni.
▼ Ce lieu existe toujours sous le
nom de « Le Grand Paris » (source :
https://www.mairie-neuillyplaisance.com/)
▼
|
La
Maltournée était un établissement dont l’effectif était
pour l’essentiel composé de personnels civils. Cette mixité
de personnels militaires et civils trouve son origine au XVIIe
siècle dans les arsenaux de la marine. Fidéliser une population
ouvrière et qualifiée était une des conditions du
développement de la flotte de guerre. Par la création d’un
statut protecteur, celui des ouvriers d’état, l'État s’assure
alors la disponibilité d’une main d’œuvre qu’il forme
dans ses propres filières de formation professionnelle
spécialisées.
De
1947 à 1950, pour satisfaire à ses besoins pressants de
main-d’œuvre qualifiée, la Maltournée a créé sa propre
école de formation accélérée en tôlerie,
ajustage et
mécanique.Les stages duraient six mois à temps complet et
étaient sanctionnés par la possibilité de se présenter à des
essais professionnels
ouvrant droit au statut d’ouvrier
d’état qualifié du groupe V.
▼
En 1949, à gauche formation de ajusteurs et
à droite des tôliers. ▼
Au
cours des XIXe et XXe siècles, le recours aux ouvriers d’état
s’est généralisé au ministère de la défense, comme à la
Direction Générale de l’Armement et ses établissements
(Tarbes, Puteaux, Satory, etc.) et dans la plupart des services
des armées (commissariats, services d’infrastructure, du
matériel, notamment dans l’armée de terre, service des
essences, certains services de la marine, etc.).
Lors
de la 2e guerre mondiale, l’armée française se reconstitue à
partir de 1943 sur le modèle de l’armée américaine qui
l’équipe en très grande partie. C’est tout naturellement le
modèle américain de « l’Ordnance Service » qui
est adopté pour le service du matériel. La fonction «
réparation » est donc répartie en cinq échelons. La
Maltournée est un établissement du 5e échelon :
« éléments
fixes du type bataillon de réparations et de bases,
établissements et usines, si l’Armée opère sur le territoire
national. Ces éléments fixes effectuent les révisions
générales, les fabrications et les reconstructions des
véhicule. »
(cf. numéro spécial de « Technique et Combat », la
revue du matériel, 8 mai 1946).
En
mai 1946, la structure théorique d’un établissement du 5e
échelon est décrite dans un numéro spécial de la revue
« Technique et Combat » p.22.
▼
L’organigramme
est fixé à 16-25 officiers, 40-50 sous-officiers et 400-600
personnels civils. ▼
Les
effectifs de La Maltournée atteignent très rapidement 450
personnels au total. Ils augmentent ensuite, progressivement,
jusqu'à 615 personnels en 1961, dont 8 officiers, 15
sous-officiers, 13 cadres civils de l'ordre technique, 36 cadres
civils de l'ordre administratif et employés et 543 ouvriers.
▼ Vue
sur une partie du service du planning de production en 1949. ▼
Une
décision ministérielle du 15 février 1971 acte sa fermeture au
31 décembre 1978. Dès lors, les effectifs diminuent
progressivement. Au début de 1974, ils sont revenus à 450
personnels. L'ERGMAu de la Maltournée cesse définitivement son
activité en novembre 1978 avec encore près de 200 personnels
sur site. Une centaine part à la retraite en 1978. Sur la
centaine restante, une soixantaine de volontaires sont mutés en
province sur l'affectation de leur choix. A la quarantaine
d'ouvriers restants, des affectations sont proposées en région
parisienne.
Deux
vues de la même salle des essais au frein et de rodage des
moteurs à presque 20 ans d’écart en 1949 et 1968 (source
photo couleur : ECPAD-F68408RC4).
Cette salle n’est
pas chauffée et un panneau (non visible sur les photos)
précise :
▼ « ATTENTION, chaque soir pendant
la saison d’hiver du 15 novembre au 15 mars, VIDANGEZ vos
freins et moteurs ». ▼
La
Maltournée était encore en 1974 le quatrième employeur par le
nombre de ses personnels, dans la zone administrative et
industrielle de Neuilly-sur-Marne, Neuilly-Plaisance,
Noisy-le-Grand et Gournay, après les hôpitaux psychiatriques de
Ville-Evrard et Maison-Blanche et les ateliers voisins de
réparation de la RATP.
*-*-*-*-*-*
D’abord
dépendant de l’Etablissement Régional du Matériel de
Vincennes, il devient établissement autonome en 1950 et
développe sa propre vie sociale, sportive et culturelle… non
sans soubresaut. Les photos suivantes illustrent quelques uns de
ces aspects.
▲
L’équipe
de football de La Maltournée en 1949. ▲
|
▲
La « cantine », ici en 1949, est une vaste salle
capable d’accueillir les centaines ▲
de personnels.
Elle était dotée d’une bibliothèque et se transformait au
gré
de la vie de l’établissement en salle de
spectacle et de bal
ou accueillait l’Arbre de Noël
des enfants.
|
Ambiance
de fête avec ce programme du super-gala de variétés du samedi
12 avril 1952.
Animé par le speaker-animateur Georgealex,
cirque, opérette, magie, chansons, etc. précèdent un grand bal
avec l’Orchestre du 1er Bataillon du Matériel de Vincennes.
▼
La cantine abritait aussi un bar avec ses verres à liqueur
devenus collector (source collection F. Bourstin et e-bay) ▼
▼ La
Maltournée possède aussi ses installations sanitaires :
L’infirmerie, à gauche, communique avec le cabinet du médecin,
à droite. ▼
Etablissement
militaire mais employant des personnels civils, La Maltournée
n’est pas à l’abri des mouvements sociaux qui agitent la
société française.
▼
Ouvriers
et techniciens sur la chaîne de montage des moteurs en 1949.
▼
Parti
communiste dans l’opposition depuis 1947, guerre coloniale
en Indochine fin 1945 puis guerre de Corée en 1950, purges au
sein même du parti communiste contre sa branche résistante
contribuent à un durcissement des relations sociales entre la
CGT, bras syndical du PC, bien implantée dans les arsenaux et
établissements « civilo-militaires » et l’armée
qui s’inquiète d’un sabotage de la production de guerre.
Début
1952, c’est l’alerte : « La
CGT a adressé ordre de grève pour le 12 février. Cette
grève est destinée à protester contre l’interdiction par
le gouvernement de la manifestation du 10 février 1952 ; il
ne s’agit donc pas d’une grève de revendications
professionnelles, mais d’une grève politique que le
gouvernement ne peut tolérer. Notifier au personnel que, dans
ces conditions, ceux qui ne travailleront pas le 12 février
1952 seront considérés comme ayant rompu leur contrat »
(1). Grévistes, plus de deux cents ouvriers de La Maltournée
sont mis à pied et cinquante révoqués. La réintégration
des révoqués devient dès lors une revendication portée par
les syndicats mais elle se heurtera à l’opposition voire
l’obstination de l’armée. Ainsi, en 1962, Pierre Villon,
député communiste, s’étonne auprès du ministre des
armées « qu'un
ouvrier de l'établissement de réserve générale du matériel
automobile de la Maltournée, licencié de son emploi par le
directeur dudit établissement le 16 février 1952, a obtenu
l'annulation de cette mesure par décision du Conseil d'Etat
en date du25 mars 1955. Puis, il a obtenu de la haute
juridiction que soit annulé, par une nouvelle décision du 8
février 1961, le refus du ministre des armées de procéder à
sa réintégration, et qu'il lui soit alloué à titre de
réparation du préjudice par lui subi une indemnité de
30.000 nouveaux francs [,,,]. »
Vainement ! « Au
mépris des principes du droit et des intérêts et droits
légitimes d'un ouvrier de l’État
[...] »
comme Pierre Villon conclue son intervention.
▲
Démontage
des ensembles avant envoi au lavage en 1949. ▲
|
▲
tunnel
de lavage, nettoyage et détartrage des moteurs ▲
à
reconditionner en 1968 (Source : ECPAD-F68408RC2).
|
▲
1968 : ré-alésage des cylindres. La côte de
réalésage est indiqué ▲
sur le bloc à la
peinture blanche. Les plaques de réfection neuves
sont
déjà apposées mais non frappées. (Source :
ECPAD-F68408RC9).
(1)
MORTAL, Patrick. Les
armuriers de l’État : Du Grand Siècle à la
globalisation 1665-1989.
Nouvelle édition [en ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses
universitaires du Septentrion, 2007. Disponible sur
Internet :
http://books.openedition.org/septentrion/57102
(2)
Source :
http://archives.assemblee-nationale.fr/1/qst/1-qst-1962-08-11.pdf
|
▲
1968 : chaîne d’assemblage des moteurs. (Source :
ECPAD-F68408RC5). ▲
|
|
Liste des Directeurs (3) qui se
sont succédés à la tête de l'ERGMAu de la Maltournée et
des Ateliers de Réparation Automobile de la Maltournée dont
il est issu :
Capitaine EMBS de 1944 à
1945
Commandant PLESSIS de 1945 à 1947
Commandant
RAFLIN de 1947 à 1949
Lieutenant-colonel DE BRYE de 1949
à 1951
Lieutenant-colonel VIAL de 1952 à
1953
Lieutenant-colonel AUDEBERT de 1953 à
1958
Lieutenant-colonel DUPRAT de 1958 à 1961
Colonel
LECLERC de 1961 à 1966
Lieutenant-colonel JASPAR de 1966
à 1968
Colonel HENRIET de 1968 à 1970
Colonel
HERBILLON de 1970 à 1971
Colonel BRESSY de 1971 à
1973
Colonel PIERME de 1973 à 1976
Commandant /
Lt-colonel FERRAND de 1976 à 1978
Commandant LOGEOIS de
1978 à 1979
(3)
source : http://www.nihouarn.com/Materiel/index.htm
|
▲
1968 : cabine de peinture. Sur les caisses en cours de
séchage à droite, ▲
les lumières des néons se
reflètent sur les bossages de la carrosserie donnant
l’impression d’une peinture blanche. (Source :
ECPAD-F68408RC10).
|
▲
1968 : remontage des accessoires et finitions. (Source :
ECPAD-F68408RC14). ▲
|
▲
1968 : chaîne de remontage des moteurs. Après mise en
place, ▲
le plein d’huile est effectué. A noter des
pneus UNIROYAL T9 neufs
sur les deux premières jeeps.
Les suivantes ont des pneus Military
manifestement
d’occasion. (Source : ECPAD-F68408RC12).
|
▲
1968 : chaîne de remontage des caisses. (Source :
ECPAD-F68408RC11). ▲
|
Courte
biographie de mon père Louis HERBILLON par le Dr
Jean-Luc HERBILLON, rédigée le 11 novembre 2020
21
mai 1970, vin d’honneur à l’occasion du passage de
commandement entre les Ingénieurs en Chef de 1ère Classe
(colonel) Henriet et Herbillon.
L’invitation est en
médaillon. Le Colonel Herbillon est au centre de face en
costume clair.
Le Colonel Henriet est à droite en
costume clair en discussion avec le Commandant Biesse.
La
tenue n’est pas précisée sur le carton d’invitation mais
tous les personnels sont en tenue civile.
▼ Anecdote :
au pot de départ du Colonel Herbillon du 28 octobre 1971, le
carton précisait le port de la tenue n°21 (photo famille
Herbillon). ▼
Mon
père est né le 4 février 1917, seul fruit engendré par son
propre père mort pour la France à Verdun à l’âge de 22
ans, le jour de l’été précédent (1916).
Il
grandit dans son village de Champagne, élevé par sa mère et
les parents de celle-ci, village qu’il quittera en 1929 avec
son certificat d’études pour rentrer aux enfants de troupe.
Il quittera l’armée 46 années plus tard, avec le grade de
général (CR).
Bon
élève, il est reçu au concours d’entrée à l’école
des officiers d’Artillerie.
Au
même âge et avec le même grade de lieutenant que son propre
père, il monte au front de la deuxième guerre mondiale avec
un train de 2000 mobilisés et deux aspirants et participe à
la défense de la base aérienne de Reims.
▼ 3
mars 1940, le Lieutenant Herbillon à Joigny (photo famille
Herbillon). ▼
Il
n’obtient qu’en 1942 sa mutation demandée pour l’A.O.F.
et rejoint difficilement, depuis Marseille, Dakar puis Niamey
par un bateau qui sera coulé à son retour.
Dernier
arrivé au Niger et donc dernier parti, il ne participe pas à
la remontée de l’Armée d’Afrique en vue de libérer la
France qu’il ne rejoindra sur ordre que fin 1945.
Sur
le modèle de l’armée américaine, la France se dote alors
d’un Service devenu par la suite Arme du Matériel et il
quitte l’artillerie pour l’intégrer à sa création.
Capitaine
commandant la 155e
compagnie divisionnaire de réparation du
matériel basée à Nice, il fait dans cette ville, au retour
de manœuvres à La Brigue et Tende nouvellement rattachées à
la France, la connaissance de ma mère, sœur d’un camarade.
Après
un passage au ministère des armées, ce sont les F.F.A. puis,
de 1958 à 1962, la sous-direction de l’Établissement
Régional du Matériel d’Alger avec le grade de commandant.
▼ Le
commandant (appelé, dans cette arme, Ingénieur principal)
Herbillon dans son bureau de sous-directeur de l’E.R.M.
d’Alger en 1961 (photo famille Herbillon). ▼
Il
prend la direction de L’E.R.G.M de La Maltournée comme
colonel (Ingénieur en chef de première classe), puis rejoint
l’État-Major de la 1ière
région
militaire au Camp des Loges.
juin
1971, le colonel Herbillon, au centre, à l’occasion du
départ de la Maltournée du commandant Biesse à sa droite
▼
et du capitaine Langlois à sa gauche (photo famille
Herbillon). ▼
Sa
carrière militaire proprement dite s’achève le 4 novembre
1975,
date à laquelle
il est promu Ingénieur Général de deuxième classe, mais il
travaille encore au moins quatre années comme « civil »
à la Direction Technique de l’Armement Terrestre à St
Cloud.
Il
meurt dans son lit à Clamart avec toute sa raison dans sa
centième année le 15 juillet 2016, lendemain des attentats
de la promenade des Anglais de Nice.
|
|